52 kilos de gras
T'es comme ça, toi. Tu te vautres dans l'échec, tout le temps. Tu ruines ton corps, tu ruines ta vie, tu ruines tout. Au moins, t'es radicale, comme fille. T'as un programme bien défini : rater tes études, rater ta vie, exploser à force d'être une grosse merde. C'est beau comme l'apocalypse.
Tu crées une belle cohérence entre ton échec scolaire et ton échec physique. Tu te vautres dans ta médiocrité jusqu'au bout. Tu essaies de te rassurer et de penser au meilleur de toi-même : t'as déjà réussi, après tout. Et puis t'es pas si mauvaise et puis t'es pas si grosse et puis t'es pas si dégénérée. Alors tu ne fais rien, tu bouffes, tu roules dans ton gras jusqu'à t'étouffer mais tout va bien : t'es pas si... médiocre.
Puis la réalité te rattrape vers une heure du matin, après beaucoup de musique et beaucoup d'eau, tu te lèves, tu vas gerber et comme t'as attendu trop longtemps, c'est trop acide, ça te fait tellement mal que tu t'étouffes. Tu te relèves, tu vas voir ta sale gueule bouffie dans le miroir, tu croises tes yeux injectés de sang et tu te dis "Il va falloir trouver une punition".
C'est quand même drôlement minable de devoir te punir comme un enfant alors que tu sais qu'à chaque fois que tu essaies de faire la révolution pour accepter ton corps, ça ne marche pas, tu deviens juste une vieille limace grasse et fainéante qui ne vaut rien. Tu ne devrais même pas te poser la question ou essayer quoi que ce soit d'autre que de t'imposer une vie de rigueur, cette vie d'avant, cette vie parfaite de quand t'étais assez mince et folle pour réussir.
Cette ivresse te manque. Alors tu te balances une punition : plus jamais de pesée le matin, à jeûn. Ta pesée, c'est tous les soirs maintenant. Après manger. Jusqu'à ce que tu maigrisses vraiment, jusqu'à ce que tu arrêtes de manger toute la journée comme si t'allais mourir de pas enfoncer des trucs gras et sucrés dans ton estomac. Maintenant, tu vas devoir assumer, tous les soirs, avant d'aller te coucher, ce poids qui te fait honte, ce poids qui est inacceptable, ce poids qui symbolise tous tes échecs et ton cruel manque de sang froid, ton cruel manque de contrôle.
Mais qu'est-ce que tu croyais ? Tu croyais vraiment qu'en te regardant longuement dans le miroir et qu'en essayant de t'aimer quelque chose allait changer ? Tu ne peux pas aimer ce corps-là, tu ne peux pas aimer un corps qui en dit autant sur ta médiocrité. T'es médiocre, t'es pathétique, tu te fais honte.
Tu ne peux plus vivre avec toi-même. Tu n'as plus qu'à réussir ou mourir, parce que tout cela ne changera pas.